Cher Félix
Récits photographiques
Quel rapport entretient-on avec notre patrimoine photographique ? Une archive n’est-elle pas toujours à la lisière de nos fictions et de nos réalités ? Quelles sont les personnes qui ont le privilège de constituer nos mémoires collectives, les traces de nos vécus et qui, avec le temps, pourront faire croire, un jour, que tout cela a existé ! Cher Félix prend l’initiative d’alimenter les archives de Labouheyre. Cher Félix fabrique de toute pièce des histoires vraies.
« Je t’appelle Felix car les gens qui te connaissent ici t’appellent comme ça. Est-ce que les gens de Malaga appellent Picasso Pablo ? Je ne pense pas et je trouve ça charmant. Ça nous rend immédiatement plus proches. Felix, lorsque j’ai compris que tu mettais toutes tes images en scène, tu es devenu une sorte de star. Tu composais, choisissais tes modèles, les plaçais dans des lieux qui racontaient ton point-de-vue de la Haute Lande, la nostalgie de ton enfance, tout cela juste avant l’ère de l’industrialisation de la forêt qui allait bouleverser ton village. Tu as essayé de sauvegarder une forme de culture menacée, et cela un peu avant 1880. Tu as peut-être serré la main de Napoléon III, peut-être d’Eugénie… Je ne t’imagine pas très mondain…
A l’époque les photographes étaient rares, le matériel était complexe, cher et peu accessible. Ton père ne devait pas être n’importe quel paysan, d’ailleurs on dit plutôt propriétaire terrien, et la tendresse de ton regard sur le monde agricole nous raconte aussi ce déclassement. Tu as appris tout seul, tu as dû bien t’amuser à mettre cette femme sur des échasses alors qu’à l’époque cela n’existait pas, les échasses oui, les femmes aussi, mais elles filaient, elles ne gardaient pas les moutons… Cette photographie sous ses airs de «documentaire traditionnel» porte de l’insolence, assurément, et du politique ? J’adore. Au fil des ans, tes photographies ont pris un statut d’archives, c’est le temps qui passe et l’oubli qui entraînent cela. Tes images sont LES IMAGES de Labouheyre de cette époque.
Ce qui devait arriver arriva, les pins ont poussé, le territoire s’est transformé et avec lui les personnes qui l’habitent. Les archives sont vivantes, elles sont constituées d’images, de mots, de sons, de matières qui évoluent avec les populations. Quand je suis arrivée ici, on m’a parlé de toi forcément, M. Félix Arnaudin, et on m’a dit aussi qu’il y a parmi la population plus de trente origines différentes, c’est un chiffre comme une légende, mais c’est vraiment singulier pour un village de 2800 habitants ! Si tu regardes les élèves avec qui je travaille, on dirait une classe de banlieue parisienne, à part qu’on est au milieu des Landes. Labouheyre terre d’accueil ! Les premiers arrivés, je pense que ce sont les Espagnols, puis les Italiens, les Maghrébins, les Hmong, Les Roumains, les Equatoriens, les Boliviens, les Tahitiens, les Turcs, les Sénégalais etc. Une grande majorité commence à travailler dans les champs et puis certains s’installent, se forment, font venir la famille, les voisins. Ici plus qu’ailleurs ? Les jeunes s’en vont parce qu’ils ne trouvent pas de travail, ici comme ailleurs, mais souvent ils reviennent. Félix, si tu le permets, nous allons nous aussi nourrir les archives et jouer avec les changements. Peut-être cela t’amusera de découvrir comment les lieux et les gens qui les habitent ont changé ? Cela reste toujours un point-de-vue, celui qui met en scène, qui recompose, qui s’amuse. »
L’exposition d’Anne-Cécile Paredes et de Patrick Beaulieu à la maison de la photographie des Landes « Changer n’est pas trahir » a eu lieu du 17/09 – 15/10
Crédits
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Photographie et texte
Anne-Cécile Paredes
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Commande
La maison de la photographie des Landes